08 . 07 . 2018
- 7 h 30 réveil
- 10 heures départ à moto
- 11 heures point d’essence
- 13 heures Quan Ba / Heaven’s gate
- 14 h 30 les buffles
- 16 heures la pagode
- 16 h 30 Ha Giang
- 17 h 30 boutique
- 18 h 30 recherche de la location
- 20 h 15 dîner
Le tambour de la pluie sur le toit en tôle me réveille de temps à autres. Des esprits hantent mes rêves ici-bas. Je n’ai plus notion de l’heure, je ne sais si je suis à l’heure ou non. J’aurais juré apercevoir une ombre approcher le tiroir de mon porte-feuilles et l’avoir tapée sur la main. J’ai retrouvé mes forces abandonnées aux Solidays et dans mes dernières pérégrinations parisiennes en vu de préparer convenablement ce voyage. La pluie me donne l’air moribond. Je m’assieds sur les chaises en plastique rouge auprès de Chau et de Martin et j’ai le sentiment de les couper dans un moment personnel. Martin me montre la météo et je dis qu’il n’est pas question de grimper aujourd’hui. J’ai omis d’écrire que Martin nous a raconté avoir renversé un véhicule sur la route le menant jusqu’ici, laissant derrière lui une fillette blessée à la jambe. Par ici, on ne rencontre pas d’hôpital avant trois à cinq heures de route.
« Are you angry ? peste Chau.
This is weather, nobody’s fault. »
Je suis en tenue complète pour affronter la pluie, Enki se fait attendre.
« I love the way you use your sticks to use noodles, se moque Martin. Sorry… finit-il.
– I mix vietnamese and italian ways !
– Do you want a spoon ?
– Where are you from ?
– North of France.
– East or West ?
– North. »
Je présente la carte du Vietnam à Chau afin d’organiser mon périple, je ne compte plus m’éterniser, deux semaines grand maximum. Elle me mentionne principalement des stations balnéaires qu’Alexia m’a déconseillées. Je retourne à la chambre, bougonnant.
Le responsable vient me chercher à 9 h 30, tout excité, me reprochant mon retard. À n’y plus rien comprendre. Je file avertir Enki qu’il est temps de bouger. Je peine à le trouver. Il s’est installé sur le lit du haut cette nuit-là. Quand nous arrivons dans la cour, un assistant du responsable nous confie deux casques, dont l’un sévèrement endommagé sur le dessus, le premier trop petit pour ma caboche. L’étudiant nous somme d’attendre le responsable, lequel sort de la cuisine et s’emporte.
« The student is waiting for you since 8 a.m !
– I am the one waiting since 8 a . m and I have eaten.
– He doesn’t have to help you ! »
Un 4×4 rouge se gare à l’entrée de Bai Yue Tribe.
« You are lucky.
– Yeah, lucky, yeah… marmonnai-je en claquant la porte. »
Il faut payer 200.000 VND pour un scooter bas de gamme, je montre le niveau supérieur avec plus de place, à 300.000 la journée. Je tape des doigts sur l’échelle d’essence, à trois barres sur six, pendant que l’employé visse les rétroviseurs. Enki est en sandales, short et débardeur. Je me dis que ça craint. Je serre la main de l’étudiant en lui claquant l’omoplate, nous sommes en route, notre aventure peut débuter. Il a son permis mais c’est sa première fois sur un “motorbike”. Nous fonçons sur la route et croisons des cas rares : des scooters portant de longues planches en bois, des bottes de légumes traînant sur le goudron et des tiges de métal. Les camions roulent parfois sur les deux voies dans les deux sens. Nous rentrons dans Ha Giang pour la première fois et sommes étonnés par la quantité d’échoppes, de monde et de circulation.
L’artère principale nous mène droit vers Quan Ba. Je préviens Enki de la présence d’un ATM car il n’a plus de kopecks. Pendant ce temps, je pars à la rencontre du militaire de garde, là où ils parlent probablement anglais. Nous sommes sur la bonne voie : le nom anglais sonne chez eux comme celui d’un hôtel, il s’agit juste d’aller tout droit. Enki redémarre en direction du lieu de pèlerinage. Passés les vingt kilomètres depuis la sortie de Ha Giang, nous réalisons que nous perdons rapidement de l’essence, il ne nous reste qu’une barre sur le tableau de bord. Ça me stresse. Je lui dis de s’arrêter au niveau d’une grange où trois camions sont stationnés. Personne ne parle anglais. Dans le traducteur oral de son téléphone, Google comprend “food” au lieu de “fuel” alors ce n’est pas prêt de fonctionner. Nous finissons par nous entendre quand Enki tapote le réservoir de “gasoline”. l’un des types nous demande nos nationalités.
« He’s Estonian, I am French. Au vu de sa tête je reprends I shouldn’t have said that.
– Which nationality are you ?
– We are looking for gas.
– If we don’t find gas, it could become an unpleasant adventure ! Look at the born Enki, only two kilometers. »
Je repère une boutique à tout faire. Le type nous fait signe de nous barrer. J’en pointe une seconde du doigt qui guide Enki vers la première tandis que je descends. La vendeuse n’entend pas un mot d’anglais. Je n’ose déambuler. À deux, nous tombons sur un jerrican d’essence. Nous demandons deux litres. J’arrête ses mains, laissons-la faire, ça colle aux doigts. Le réservoir est plein. Nous dépensons 66.000 VND, dégustant un cornet de glace local, parfumé à la fraise, et nous repartons. La route est longue, les chauffards nous rendent dingues.
Le paysage se transforme constamment : les rivières sont plus pures et il y a de moins en moins de maisons, de plus en plus de végétation et toujours autant de trafic.
La route se divise en deux.
« Main road, I said. »
Un gigantesque serpentement nous amène au rythme du deux roues à la vallée de passage. Nous frôlons des bus, des camions massifs et des buffles imposants circulant à même la route. Des fermiers cultivent le riz et les autres plantations munis de leurs mains nues, de tenues bleues, de bottes et de chapeaux ronds. D’immenses étendues sauvages encadrent la route. Le vent me soulage de la torpeur de la température qui m’éprouve depuis plus d’une semaine désormais. Ma combinaison, suffisamment légère, me permet de respirer aux arrêts.
Nous croisons des Brésiliens sur le plat. Ils se mettent en position de danseuse, nous nous saluons du plat de la main et nous nous sourions. Leurs dents éclatent au soleil, contrastant avec le teint mat de leur peau et les boucles brunes de leurs cheveux. Ils portent un maillot de football. Un bus nous dépasse en klaxonnant et s’arrête brusquement devant nous. Enki traîne et oriente le guidon en vue de le dépasser.
« Wait ! »
Un scooter file. Il veut redémarrer.
« Wait ! I check ! »
Un second fonce. Je dis que c’est OK en ayant regardé à pied. Il freine le temps que je remonte, il ne m’a pas remarqué descendre. Plus tôt il avait accéléré le long d’un camion en plein vent, ce que je lui avais déconseillé en raison de la force du vent. Avec nos casques, il n’est pas question de chuter. Les lettres du nom vietnamien apparaissent sur une colline peu après l’arcade de l’UNESCO marquant l’entrée. On se croirait à Hollywood. Sommes-nous passés ou bien devons-nous poursuivre ? Les Brésiliens repassent devant nous. Nous avons maintenu le bus à l’arrière, ce qui me fait songer au film Duel de Spielberg, que je n’ai pas encore vu. Au cours de la montée, un chemin s’avère difficile, parsemé de boue et de gadoue. Plus loin, des tas de cailloux jonchent le côté gauche. Nous revenons sur du plat et la route s’élargit : le bus en profite pour passer devant en klaxonnant. Des oies traversent la voie. La voie devient escarpée, nous retrouvons la rivière et des paysages en hauteur.
Plus haut, un groupe de huit est arrêté. Enki stoppe net, je demande le chemin. Ils font le Ha Giang loop et ne savent pas que nous sommes à deux kilomètres du point de passage. J’entends du français, Léa vient de Nantes, elle est entièrement équipée et carrément mignonne. Un belge flamand me sourit, je leur crie que je viens de Boulogne-sur-Mer. Enki redémarre et au second virage, nous manquons de heurter un camion à huit ou dix roues. Nous ne pouvons pas passer. Il vire et nous nous enfonçons dans la gadoue. Le deux-roues glisse, j’ai les pieds dedans, que dire des siens chaussés de sandales ? Enki me mande de descendre pour se dégager de là. Quelques minutes plus tard, nous y voilà.
La grande vallée, là, devant nous. D’innombrables collines et montagnes boisées, quelques lacs. Je reste bouche bée un moment, ne sachant que dire. Je pense à l’EVG de mon frère aîné durant lequel le cadet de notre fratrie avait cité Le Petit Dinosaure dans les parcs thermaux d’Ischia en disant qu’on irait tous dans la grande vallée. Pendant que je photographie, Enki grimpe le col par des marches en pierre. J’irai ensuite. J’y verrai un pylône de transmission électrique et j’entrerai dans une maison abandonnée.
Je redescends par le tour, en croisant des papillons rares, des libellules et quelques fleurs. Je n’ai pas retrouvé Enki. Je consulte la carte du bar bien situé, à flanc de montagne. Rien à manger : où sont donc allés les Norvégiens ? En l’absence de jus d’ananas, je commande un jus de citron. Absolument rafraîchissant, et combien revigorant. La barmaid remplit ma gourde le sourire aux lèvres.
Je papote avec les deux Allemands du groupe.
« I have been twice in Berlin, I love this city and German people !
– Really ? May be you should not…
– Still are we at this point of history ?
– Ahaha
– I believe your memory duty is hard for children.
– I think it’s important.
– I agree. I would add you’re not responsible from what happened.
– Patriotism ! »
Léa m’adresse la parole, j’ai plaisir à parler français ici. Elle vient de Sapa avec les autres qu’elle y a rencontrés. Elle souhaite prolonger son voyage. À la rentrée, Léa compte faire du graphisme. Nous nous échangeons des bons plans puis nos profils Facebook afin de conserver une trace d’ici et pourquoi pas se retrouver plus tard.
Nous sommes là-haut depuis déjà quarante-cinq minutes. Le groupe repart. Je lui souhaite belle route. J’aimerais la revoir. Je m’inquiète pour Léa, c’est la première fois qu’elle conduit. Nous bavardons avec Enki sur ce qu’il se trame à Bai Yue Tribe. Quelque chose n’y tourne pas rond et rend le tout étrange. Je me sens stupide de ne pas avoir emporté les jumelles de mon père pour aujourd’hui.
Quarante-cinq minutes plus tard, il est temps de repartir. J’ai bu un café vietnamien glacé, je n’avais pas absorbé de caféine depuis au moins une semaine. Nous nous stationnons là où nous avons rencontré le groupe pour des photos. Enki me confie sa mini-caméra pour que je filme par moments la route du retour : il doit lui rester cinq minutes d’enregistrement.
De retour aux tas de cailloux, la route est bouchée. Nous doublons un tracteur avec des roues lisses écrasant les dernières pierres. Un homme jette les cailloux sur le bas-côté. J’emprunte la tranchée derrière le tas de cailloux pendant qu’Enki se faufile avec peine : les conducteurs dans l’autre sens lui bloquent la route et nous font des scarface. Plus loin, deux buffles bloquent le passage. Une corde gît à terre, l’un d’eux va sur la droite. UN camion se dessine en face de nous. Enki fonce sur la corde encore au sol. J’anticipe le bond que cela va provoquer. Nous n’avons pas le choix : qu’arriverait-il en cas de frein précipité ? D’un coup, la corde se soulève et se tend entre les buffles, elle relie leurs cornes. Mon cœur s’arrête, je nous vois effectuer un soleil et percuter le camion, mourir, surtout. Le deux-roues s’arrête dans la corde, le casque d’Enki s’envole, le camion s’approche puis freine en tournant. Le fermier détache la corde alors que je tente de la défaire en tremblant. Je m’élance ramasser son casque en disant “well done” à deux reprises :
« You have been great, did he reply. »
Nous poursuivons. Je reste relativement calme. En passant au pied d’une chute d’eau, nous effectuons un demi-tour, un grand escalier y mène probablement. Les riches propriétaires ne se veulent pas très accueillants, les chiens féroces aboient. Je tends ma main, les doigts vers le sol, comme j’ai appris avec Charles auprès des huskys à Orcières-Merlettes. Dommage, nous reprenons la route à travers Ha Giang, à la recherche de la pagode. Les militaires nous indiquent le chemin. Enki plaisante sur un écriteau d’agence de tourisme, close hélas. Dans l’hôtel voisin, la gérante appelle sa fille pour la traduction : elle propose de nous guider sur le scooter. Je rappelle à Enki que si nous roulons au-delà de deux kilomètres, nous prenons la fuite.
La pagode s’érige en trois ponts. Nous montons d’abord un escalier décoré de statuettes de lions chinois et de Buddha (éveillé) hilares. Il y a deux temples au rez-de-chaussée et un troisième après un premier escalier. Là-haut, j’oublie d’abord d’enlever mes chaussures. Une statue à l’effigie d’un des Bodhisattva (êtres en état d’éveil) est dominée par un Siddartha en méditation. Nous nous interrogeons sur la présence d’amoncellements de nourriture et de boissons.
Des enfants jouent au foot en bas. Enki m’apprend un mot : “roap” et qu’il a freiné avec ses pieds. Rien qu’y repenser me pétrifie.
En ville, il a envie d’un burger. Ça me laisse dubitatif. Nous faisons le plein au même endroit et la vendeuse remplit au lieu de mettre un demi-litre. Nous lui devons 50.000 VND. Il commence à pleuvoir, alors qu’il s’est décidé à rentrer, les locaux nous font de mauvaises blagues en nous frôlant ce qui nous arrose. Nous allons à une boutique pour du sucré au cas où nous devrions attendre longtemps. J’ose leur demander un abri car ils nous proposent d’acheter un k-way à 20.000 VND. Enki laisse entendre que je peux lui offrir, ça me soule de payer un k-way qui ne dure qu’une journée alors je lui donne le mien. Je range mes lunettes dans la poche intérieure. Enki refuse par politesse. Sur ce scooter, qu’il le comprenne ou non, ma vie dépend de la sienne. Il l’enfile. L’averse dure, la nuit commence à poindre. Nous ne retrouvons pas le propriétaire du “motorbike”.
« If we give it back to the wrong shop, I don’t think he would refuse it, do I comment, for laughing. »
Nous retournons à la Tea House et l’étudiant du matin me cherche pour aller rendre l’engin. Enki n’aura pas réussi à négocier mais n’aura pas non plus cherché à me faire payer plus, du moins pour le moment. Je suis encore mouvementé de la journée. J’ai le visage cramé malgré la crème solaire. J’appelle ma mère pour réfléchir à mon séjour, elle séjourne avec mes grands-parents dans le studio parisien que je loue à l’année, à proximité de l’université. Je publie une photo avec mon frère sur Instagram et j’échange quelques mots avec des filles via les applications de messagerie.
Quelques semaines plus tard, j’aurai modifié ma photo de profil Facebook pour une photo de moi à Heaven’s Gate, en la dédiant à notre professeure de français du lycée, Judith Menget. Décédée d’un AVC durant la quarantaine, elle nous apprit en classe les paroles de Confucius :
« On a deux vies, la seconde commence quand on prend conscience qu’on en a qu’une. »
Engagé pour l’intérêt général depuis l’âge de 15 ans, j’interviens au fil des années dans le cadre de projets associatifs, d’événements culturels et de réseaux internationaux.
Sur le plan professionnel, j’ai exercé plusieurs activités à la sortie de Station F où j’ai travaillé sept mois en 2021, à l’occasion d’un Service Civique.
Sur le plan personnel, j’aime écrire, et je prévois de poursuivre !