03 . 07 . 2018

  • 8 heures rencontre de Clémence et Luke
  • 8 h 30 petit-déjeuner
  • 9 h 30 meeting avec le responsable
  • 11 heures piscine
  • 12 heures déjeuner
  • 14 heures English classes
  • 17 heures Tea tasting
  • 18 h 15 piscine
  • 19 h 30 dîner
  • 21 h 30 CR + quizz
  • 0 h observation des étoiles

Quand je sors de ma chambre, je rencontre Clémence Truti et Luke Knopfler qui viennent de Montpellier. Je suis épuisé. A 9 h 30, nous nous retrouvons tous les cinq, les volontaires et notre hôte, dans la salle principale climatisée pour préparer notre planning et en apprendre plus sur le thé. Je ne comprends pas tout. La tête me tourne. Alexia Hardel, une camarade de classe, m’avait prévenu que le traitement contre le paludisme pouvait donner lieu à des effets indésirables. Je luis dois la moitié du traitement nécessaire à mon voyage et des conseils sur les destinations.

Le responsable nous présente le circuit de cinq journées de Ha Giang, à quarante dollars par jour à moto sur cent soixante-dix kilomètres. Je comprends alors que je ne pourrai voir les paysages sur les photos partagées sur le site de World Wide Organisation Of Food qu’à ce prix-là. Je m’en vais nager, Phan Chau est là.

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Nous reprenons son perfectionnement en natation. Comme elle ne respire pas, elle finit par remonter et cesser tout mouvement. Je remarque qu’elle peine à se stabiliser. Nous avons pied dans la majeure partie de la piscine. Nous déjeunons vers midi, puis nous comprenons que nous devons bien donner cours. Mon compte Gmail refuse de s’ouvrir sur les ordinateurs à disposition. Le responsable divise les vingt-cinq enfants en trois groupes. Aucun des enfants n’a le même niveau,. Nous commençons par vérifier qu’ils savent se présenter en anglais à l’écrit. De nombreuses phrases sont écrites dans leurs cahiers, et pourtant ils n’ont pas le niveau de ce qui y figure. Probablement en partie dû à Google Traduction. J’ai ensuite décidé de faire cours sur la structure du récit d’un conte qui se manifeste en cinq étapes. Le premier nom qui leur est venu à l’esprit, c’est Cendrillon. Je m’attendais à ce qu’ils connaissent et racontent des histoires légendaires de leur tribu. Pour le reste, je leur ai indiqué la structure d’un livre. Chau a eu l’air impressionnée quand elle est revenue dans la classe et que le cours était fini. Ça m’a fait plaisir.

La vue depuis la cour accédant aux chambres climatisées.

Nous nous sommes rendus au salon de thé pour goûter les différentes préparations. Il y a beaucoup d’équipements et de services à thé. Les hommes sont assis et Chau gère le reste. Nous commençons par une mince quantité de thé vert, à aspirer par petites bouchées et à conserver dans la bouche. Pour terminer, nous goûtons le Puerth Tea, bouillant et mélangé avec des glaçons, aux arômes relevés par un goût sucré. J’ai manqué de m’évanouir. Je n’avais pas encore bu d’eau de la journée. En buvant, je déclare :

« I have found the graal. »

La piscine me soulage. J’arrive en retard pour le dîner : ils ont changé de salle et j’ai peiné à la trouver. Le responsable me gronde, Chau est mécontente. Je m’installe seul, sous le ventilateur. L’agence avec laquelle j’avais eu un entretien le lendemain de mon bénévolat aux Solidays et quelques jours avant mon départ a choisi quelqu’un d’autre. Je me rappelle les mots de Cyprien au mariage civil du plus âgé de mes frères : « l’humiliation ne provient que des gens que l’on aime. » Je dois écrire un courriel à ma famille et exporter les photos. Le responsable refuse que j’utilise son ordinateur personnel. Cela me prend plus de temps que je ne le pensais. Les enfants me demandent ce que je fabrique sur l’ordinateur collectif, il se fait tard et ils veulent dormir. Au moment où j’en ai fini, je les prie de m’excuser. J’ai oublié de goûter la glace qu’ils m’ont donnée. Heureusement, l’un deux l’a prise. Autrement, elle eût fondu.

Ciel nocturne depuis la cour donnant accès aux chambres climatisées.

Luke et Clémence fument dans la cour sur laquelle donnent nos chambres. Luke me dit qu’on lui a reproché d’avoir été torse nu. Des mégots jonchent le dessous de leur lit. Je leur indique de ne pas fouler la salle d’eau pieds nus. Ce pourrait être meilleur pour dix dollars la nuit alors que nous échangeons de notre temps de main d’œuvre. Ceci dit, je tiendrai jusqu’au bout. Nous observons Mars ensemble, je repère le cygne, et Clémence l’étoile polaire. Un an plus tôt, le père de mon amie Laure m’avait appris à décrypter le ciel étoilé dans la Drôme. Nous fumons quelques cigarettes. Je peine à trouver le sommeil. Je nettoie ma brûlure, je me suis ramassé par terre en jouant à chat avec les enfants. Ma montre s’est cassée : ça m’en fera une à gousset. Je vérifie que les enfants dorment, ils dorment sur un fond de musique. J’éteins la musique.

04 . 07 . 2018

  • 6 h 30 réveil tardif
  • 7 h 05 départ pour la montagne / circuit périlleux
  • 7 h 30 début du picking tea
  • 9 h 15 retour à la cabane / découverte des sangsues
  • 10 h 30 piscine / douche méritée à Bai Yue Tribe
  • 11 h 30 nettoyage de la plaie
  • 14 heures English classes
  • 17 heures apéro / discussion
  • 19 h 20 dîner
  • 20 h 40 Shrek
Rizières au début de la mousson.

Le réveil de 5 h 45, après quelques trois heures de sommeil, me tape sur le crâne, je ne m’extirpe pas immédiatement de mon sommeil. Je me replonge dans mon cauchemar qui a suivi mon rêve : je m’imagine devoir rentrer en France pour une raison inconnue avant de ne poursuivre mon voyage au Vietnam. Les visages des membres de ma famille défilent dans ma rétine intérieure, et je ne peux repartir en raison du prix du trajet. L’envie de découvrir la jungle, et d’uriner, dois-je avouer, me soulève du lit. Quelqu’un toque à la porte. Je me dépêche de me laver les mains et ouvre la porte. Chau est surprise de me découvrir torse nu en sarouel acheté au souk de Casablanca, une main frottant l’œil droit. Je lui présente mes excuses et me presse de m’habiller pour aller manger. Luke et Clémence sont autant en retard que moi, je ne suis pas tout à fait réveillé et j’ai mis trop de piment dans mon assiette, mes yeux me brûlent, puis mes pommettes. Luke m’apporte de l’eau. Quand Enki arrive, Chau propose du pain et Enki m’en donne la moitié d’un. Voilà qui me soulage des épices. Je dis au couple que ça ça cale. Je retourne à la chambre changer de tenue. En sortant, Chau me demande ce que je fais : les autres sont partis alors je m’en veux.

Un buffle harnaché à un outil de trait dans une plantation de riz.

Nous nous activons sur un chemin encadré de végétation. Soudain, une cabane apparaît, nous empruntons des marches en bois et atteignons la plateforme de la résidence où une famille autochtone sert du thé. J’ai déjà très chaud.

Nous finissons par reprendre notre route pour récolter du thé sauvage. Sur notre chemin, nous croisons un buffle dans une mare, la boue implique de maîtriser son équilibre. Peu à peu, le terrain se veut ascendant et rocailleux. Il faut délicatement arracher les herbes les plus hautes et les plus claires. Je transpire abondamment.

La nature regorge de couleurs et de sensations en milieu tropical.

À un moment donné je glisse, un étudiant me met la main sur l’épaule et Chau se retourne :

« Don’t worry for me ; water is ok ! »

Je suggère de choisir “watermelon” comme mot-repère mais ça ne sera d’aucune utilité. Avec Enki, nous croisons un mille-pattes d’une taille conséquente. La bestiole s’enroule sur elle-même. Dans un jeu vidéo King Kong, on devait abattre des scolopendres à l’aide d’un bout de bois pour survivre en FPS. Il n’y a plus un centimètre carré de sec sur mon polo. Nous finissons par nous séparer dans la jungle en raison du manque de visibilité.

En pleine jungle, on perçoit le traditionnel chapeau des rizières entre les feuillages.

La voie se coupe en deux et nous devons choisir. Je suis les étudiants qui connaissent les lieux. Nous arrivons à la cabane. Cette fois-ci, j’ôte mes chaussures. Chau se tient debout sur le ponton s’avançant sur la mare dans le prolongement de la maison. Je l’y rejoins. J’enlève mes chaussettes en vue de me rincer tout le corps. En remontant mon pantalon de pluie, je constate la présence d’un amas brunâtre sur mon mollet. Luke m’apprend que c’est une sangsue. Chaô me montre du doigt le sol du ponton en disant “soap”, m’indiquant de frotter pour l’enlever.

Le point d’accès à l’étang, pleinement ensoleillé.

C’est de la lessive en poudre. Je commence délicatement, l’insecte gonflé résiste, Chau m’invite à y aller plus fort, je finis par l’arracher, révélant la morsure ouverte qui laisse échapper un filet de sang, peinant à coaguler. Luke l’écrase avec une planchette, mon sang en gicle. Une autre, plus petite, se situe au niveau du muscle interosseux de mon pied. Je remonte à la cabane, la jambe engourdie, Luke vérifie mon dos puis je m’allonge sur le tapis.

La famille regarde La Panthère rose sur le vieil écran de télévision. Des diplômes ornent la poutre soutenant le toit, ainsi qu’une photo de famille. Enki grimpe aux arbres cueillir des fruits, j’y goûte et je pose quelques questions à Chau sur l’organisation des gens et la vie courante. Il est temps de rentrer, je vois un phasme et découvre ce mot pour la première fois, je n’eus pu deviner seul que c’était un animal, un insecte.

Chau rentre pieds nus tandis que le soleil brûle le chemin goudronné. Nous nous retrouvons à la piscine où je lui montre comment retenir sa respiration sous l’eau.

Avant de déjeuner, je nettoie ma blessure datant de ma chute en jouant à chat qui s’est infectée dans la piscine. En cours d’anglais, nous prenons tous les élèves et j’expose à la classe les principes de la construction d’un récit à partir du résumé de Final Fantasy VII.

Nous avons ensuite diffusé le “trailer” de Final Fitansy IX. Tout jeune, je regardais le second de mes frères aînés y jouer, des heures durant. J’ai presque appris à lire en assistant au jeu et ses dialogues dans des encadrés. J’y identifiais Djidane à une version de mon frère dans un monde parallèle au nôtre, dont le merveilleux s’immergeait en notre réalité à partir de la Playstation 1 sur laquelle il commandait des actions en manipulant une manette de jeu.

Le travail en petits groupes a porté ses fruits en motivant tout le monde. Ça prend de l’énergie, récompensée par les sourires obtenus à la fin ainsi que les remerciements d’une maman ayant assisté à la séance. Je retrouve Luke et Clémence pour un apéro à côté de la piscine, je ne pourrai pas me re-baigner tout de suite. Nous alignons quelques clopes et bières pour quelques dizaines de centimes en dressant le tableau du lieu : nous tombons d’accord sur l’ensemble, quelque chose ne tourne pas rond ici. L’attitude du responsable rend tout plus compliqué. Nous nous interrogeons sur le bon déroulement de notre séjour. Peut-être rouspétons-nous comme de bons français ; quelque part, nous savons que nous avons raison.

Vue de la vallée en fin de journée. Au loin, une montagne.

Nous décidons ensemble de trois films à montrer ce soir à l’aide de l’abonnement Netflix de ma mère : WallE, La route d’Eldorado ou Le Prince d’Égypte. Ils ont vu les trois et nous lançons Shrek après leur séance de téléréalité. Le mélange d’alcool, de fatigue et de chaleur me tourne le crâne, je finis par m’assoupir au bout de cinq minutes sur le canapé. Mon voisin me réveillera à plusieurs reprises durant la séance. Ma nuque s’endolorit, j’ai le sentiment d’une migraine ou d’être affecté par des songes. Je souhaite un bon sommeil aux Français et à Chau. Je me couche et la nuit arrive brutalement. Mes songes s’entremêlent comme mes reflets dans une galerie de miroirs.

05 . 07 . 2018

  • 8 h 45 réveil et je croise Annah
  • 9 h 45 observation de la fabrication de thé
  • 12 h 15 déjeuner et récupération de mon chapeau
  • 14 heures English classes
  • 16 h 30 apéro
  • 19 heures dîner
  • 20 h 30 Tea Party

Je salue Annah, apparemment ma voisine. Enki m’apprend que de nouveaux volontaires sont arrivés et Luke et Clémence me confirment qu’une famille de norvégiens a débarqué. J’ai croisé une Espagnole alors je ne comprends pas tout. Nous verrons. Je me dis que c’est bien d’accueillir de nouveaux wwoofers et que nous allons ainsi augmenter le champ des possibles. Nous sommes appelés au salon de thé pour une mince tasse et nous nous dirigeons dans le hall de l’établissement en vue de concocter une spécialité. En fait, nous les regardons déplacer le thé cueilli du panier dans des sachets en fibre qui sont chauffés dans un contenant électrique puis compressé par une vanne mécanique. Je m’attends à participer au processus.

Apparemment, nous ne sommes bons qu’à regarder, ce qui nous déçoit. La famille a emporté mon chapeau, je n’aime pas quand les gens font cela, au moins eussent-ils pu attendre mon retour dans la salle, je ne peux pas déconner avec mon crâne sous cette chaleur. En arrivant au déjeuner, je croise la famille dont le fils, Niko, porte mon chapeau : je serre la main de tout le monde et le récupère en lui glissant ma casquette. Lorsqu’ils arrivent au déjeuner, sa mère me la remet, je l’informe de bien respecter les horaires des repas car ils ne se sentent pas respectés autrement. Annah me répond qu’ils ont raté le petit-déjeuner. Stan est un journaliste, les enfants sont des adolescents. Lula a un piercing à la narine droite et la coupe mulet. Stan est surpris que nous n’ayons fait que deux heures de récolte de thé : j’aimerais bien l’y voir. Je les laisse pour le cours d’anglais en leur souhaitant une bonne journée. Ils sont de passage pour quatre jour et ne nous aideront en rien. Luke emmène les meilleurs avec lui pour approfondir des questions grammaticales. Avec Enki, nous entamons une séance de lecture. Le premier tome du livre de la jungle a disparu. Ça me touche et ça fait chier. Je dois gérer la discipline de la classe entre ceux qui se frappent et ceux qui jouent, ce qui m’épuise car ce n’est pas mon métier. Même pendant le cours les enfants se frappent. Que ce soit pour rigoler ou autre, je ne comprends pas. Enfin si, ça me rappelle des scènes de mon enfance.

Vue depuis le chemin qui revient à la route.

Aujourd’hui, je suis content que ça se termine et qu’on passe à autre chose. Je reprends mon journal et je nettoie ma plaie à l’aide de la trousse de secours que m’avaient préparée mes grands-parents puis je retrouve les autres pour une bière étant donné que je ne peux toujours pas accéder à la piscine. Nous discutons de la manière dont nous pouvons les motiver, de sociologie, d’histoire et de politique.

« We are the 99 % ! »

Chemin boisé dans le camp de séjour.

J’ai échangé quelque peu avec mes amis proches par Facebook. Je pense à ma famille et à l’argent qu’il me reste. Je dois absolument veiller à en conserver pour l’année qui s’annonce. Je n’ose imaginer la galère que ce sera si je ne trouve pas rapidement une alternance et donc un salaire. Ici plus qu’ailleurs, l’argent s’écoule rapidement.

Après dîner, il semble qu’une fête soit organisée, j’ai entendu « water party ». Chau refuse mon aide ce soir. A mon retour, je saisis qu’elle gardait une surprise. C’est l’heure de la tea party. Nous devons retirer nos chaussures si nous comptons fouler l’herbe. Nous trinquons et j’écoute les chants traditionnels. Linh, une enfant, s’approche et discute avec moi, rigole avec Luke et Clémence et j’écoute un enfant me narrer une histoire. Je ne capte pas un mot de ce qu’il raconte, tant son accent et mes prédispositions linguistiques ne s’accordent pas. Je me fais dévorer par les fourmis rouges. A la fin de quelques verres trop sucrés, je retourne me coucher, pas de film ce soir.

06 . 07 . 2018

  • 9 h 15 lever
  • 10 heures nettoyage de la piscine
  • 12 heures nettoyage de ma plaie
  • 13 heures déjeuner
  • 14 heures English classes
  • 17 heures apéro
  • 18 heures pluie torrentielle
  • 20 heures départ de Luke et Clémence
  • 21 heures épisode de Black Mirror / cadeau

Je me lève très tard pour les locaux, et le responsable est mécontent car je n’étais pas prêt à l’heure du départ pour la récolte de thé. Ceci dit, mercredi il était prévu de confectionner des cakes Puerth Tea, Chau elle-même n’était pas informée. Un tchèque installé au Japon est installé dans le salon de thé et se tâte à rester pour un peu de volontariat. Je propose de donner mon temps à nettoyer la piscine. J’en ai discuté avec Annah, nous craignons la circulation de maladies, de bactéries ou de poux dans le bassin chloré. Le fils de la propriétaire met plus de dix minutes à trouver l’épuisette. Je ramasse de nombreux insectes et feuilles. La chaleur me force à me mettre sous la douche. En faisant le tour, j’oublie de me pencher et me cogne contre la poutre : deux jeunes adultes se marrent. Je suis sonné, ma vue diminue, je remonte mettre de la glace et Luke vérifie que je n’ai rien. Je nettoie ma plaie, Annah m’a conseillé d’attendre d’être guéri pour me baigner de nouveau et m’a proposé des antibiotiques que j’ai refusés par politesse. Je préfère qu’elle conserve le nécessaire pour ses enfants. Nous débutons la lecture avec l’autre groupe, Chau est absente. Luke et Clémence m’ont annoncé leur départ, ça ne m’étonne pas. Sans doute ont-ils raison de s’en aller. Toutefois, je ne peux ni les suivre ni faire de même. Quand j’ai terminé le nettoyage, je rejoins Enki au salon et l’y informer, il se tâte. Nous ne sommes pas dans la même situation. Suite à un peu de philosophie et de spiritualité, je m’en vais me changer et soigner ma blessure. Lorsque j’arrive à la salle à manger, tout est fermé. L’un des plus âgés ré-ouvre la porte et me découvre les restes malgré qu’il ait prononcé à trois reprises « finish ». Il ne capte absolument rien à ce que je lui dis.

Sous la pluie torrentielle, Luke et Clémence profitent de la balançoire.

Enki pense que c’est dû à la séance de lecture car c’est du chacun son tour. Je lance un débat sur la distinction entre vivre dans la ville et dans la campagne,  nous séparons les élèves en deux groupes et ils s’investissent au moment de l’échange. Quelque chose me perturbe. Nous nous retrouvons tous ensemble pour un dernier apéro. D’un coup, il se met à pleuvoir et le tonnerre retentit dans la vallée, le vent me rassure alors qu’il arrache les feuilles des arbres. Ils coupent l’électricité pour protéger le camp. Luke et Clémence s’asseyent sur la balançoire. J’enlève mon T-shirt pour un bain de pluie et pense aux esprits qu’on m’apprit à prier.

J’ai enregistré la pluie avec mon microphone que j’ai emporté dans ma poche imperméable en allant mettre mes vêtements à l’abri. Stan a tendu un billet de 50.000 VND à Linh pour son propre argent de poche.

Avec Clémence, nous discutons de transsexualisme et de sociologie puis des lieux que nous occupons. Les sandales en cuir que Biên m’a prêtées me collent à la peau, faisant des plaques rouges. Clémence, qui connaît de même la douleur inflammatoire et sociale du psoriasis m’en a averti. Nous ne parvenons pas à déterminer si c’est la chaleur, l’humidité ou la crasse des chambres qui lui causent des crises d’eczéma. Au dîner, nous échangeons nos points de vue sur la littérature et le roman. Ils semblent impressionnés par la rapidité avec laquelle j’écris.

«  Le roman est assez limité. Généralement je ne suis pas d’accord avec le point de vue qui en ressort.

– Avec le point de vue de l’auteur ou du narrateur, Luke ?

– Aha, well done ! Cependant, je dois dire que je n’aime pas le tableau de la souffrance et y préfère l’incarnation du merveilleux.

– Certains ont un problème avec le pathétique, qui a son utilité. Vous connaissez Alain Damasio ? Vous devriez le lire, je l’ai rencontré plusieurs fois, c’est de la littérature de l’imaginaire très adaptée aux faits de la société et à la société de contrôle.

Nous devons aller chercher nos affaires. »

En revenant, Clémence m’embrasse de ses bras et je lui adresse une claque sur l’épaule. Je glisse à l’oreille de Luke que son dernier livre s’intitule Aucun souvenir assez solide. Nous nous souhaitons mutuellement bonne route. Le responsable me parle de se rendre à Heavensgate le lendemain avec les Norvégiens ou bien de réaliser l’ascension jusqu’au Tea Village. Les prix ont déjà gonflé car notre guide serait un étudiant anglophone, lequel connaît les mots “lunch” et “dinner”. De quoi tenir la route. Je me poste sur la défensive et ma voix s’intensifie, je vais chercher Enki qui préfère éviter le conflit. Nous sommes alors supposés nous lever tôt. Nous démarrons un épisode de Black Mirror, Saison 4 Prologue, qui plait beaucoup à Chau. Stressé, je n’en ai pas beaucoup profité. Au moment de m’endormir, ils coupent de nouveau l’électricité et l’air s’alourdit assez durablement. J’angoisse quelque peu.

07 . 07 . 2018

  • 8 h 45 départ pour le Tea Village
  • 11 heures méditation à la pagode
  • 12 h 15 déjeuner
  • 14 heures sieste
  • 18 h 30 observation de la cuisine
  • 20 h 45 CV alternance
  • 22 h 15 meeting avec le responsable
  • 23 h 30 échanges avec ma mère et mes amis

Je ne sais plus tellement si je me suis levé tout seul ou s’il avait toqué à ma porte, je crois que le responsable a toqué au moment où je me préparais. Il a râlé une fois de plus car je prends trop de temps à son goût. C’est tout de même mon jour de repos, et je n’ai pas prévu de payer un guide selon son bon vouloir ; Enki ne se sent pas prêt à prendre la route aujourd’hui, craignant le danger. Je taxe une clope à Lula quand ses parents arrivent, je leur explique que je ne peux les suivre faute d’avoir un permis. Stan me dit qu’une licence coûte 100.000 VND. Ma vie, elle, n’a pas de prix. Il n’est pas question pour moi d’apprendre à rouler ici. Je finis par contraindre l’étudiant à me guider en lui disant que je l’aide en anglais donc qu’il peut bien m’emmener.

Nous marchons si longtemps le long de la route que j’en viens à me questionner sur la destination. Nous suivons une rivière boueuse et traversons un pont. Les camions ne cessent de klaxonner à vive allure. Je transpire déjà. Au pied d’une pagode, l’étudiant me dit que nous sommes arrivés. Combien de temps ce jeu va-t-il durer ? Épuisé de m’opposer, je grimpe. Entré, je lui montre du doigt le ventilateur, il se moque encore de moi faisant mine de ne pas saisir. Je m’allonge afin de me reposer et de méditer. La prêtresse dit que je suis un bel homme. L’étudiant me secoue et rompt ma communion spirituelle. Quand je me lève, la prêtresse me tend des biscuits caramélisés. Nous prenons le chemin du retour, dès que j’ai pu visiter les autres salles.

Le déjeuner n’a pas encore été servi quand nous arrivons. Shan semble surpris de notre retour, l’étudiant a refusé d’entendre Tea Village, par flemme sans doute. A la fin du repas, je retire les sucreries de mon sac, en les ouvrant, la moitié tombe par terre, je lâche un gros mot. Je partage avec tous ceux qui acceptent, Chaô dit que c’est trop sucré. Je termine le reste pour reprendre des forces et me rend à l’accueil de l’hôtel demander la télécommande de la climatisation. Trop élevée dans ma chambre, elle me frigorifie la nuit et m’empêche d’affronter la chaleur extérieure le jour. De plus, elle attaque mes bronches. L’aubergiste m’accompagne et ouvre tous les tiroirs. Elle montre du doigt la tâche de sang, l’indique les traces de terre et mes doutes sur ce qu’il y a entre les murs. Elle enlève les draps, ses filles l’aident. Je vais pisser et fermer la porte. L’une des trois toque et ouvre la porte : je sors au plus vite, m’assurant qu’elle ne fouille pas ma table de chevet où est rangé mon porte-feuilles. Sa mère a été rude au sujet de l’utilisation de l’électricité qui est très réduite dans ma chambre. Je m’endors rapidement, me posant de nombreuses questions sur le voyage. A mon réveil, j’observe Chau et la mère de Linh cuisiner du poisson. Stan plaisante en demandant s’il provient de la rivière ou de la mer. J’en ris. Ils reviennent d’Heavensgate qui les a émerveillés. Ils ont trop bien déjeuné pour nous accompagner. J’entends de la musique et à la chambre reprendre mon micro pour finalement me retrouver devant une sono. Je passe devant le couple installé dans le restaurant vide sans leur adresser un mot pour ne pas les déranger.

Je réponds à des offres d’alternance, Martin m’interrompt pour avoir une discussion. Nous passons d’une virée à Heavensgate à une excursion au Tea Village pour ses besoins de vidéaste qui arrangent bien le responsable. Je rétorque que c’est mon jour de repos et que je compte bien en profiter.

« I am here for work, not for fun, assène Martin.”

Enki et moi échangeons un regard furieux et consterné.

« Up to you, conclut Stan »

Je demande à voir les photos et explique que c’est en partie pour ce type de lieux que je suis venu et que je compte bien profiter de nos jours de repos, n’ayant pas été satisfait de celui-ci. Enki confirme que nous verrons selon le temps du matin. Peu avant, en allant nous servir du thé, Chau m’a averit de ne pas en boire, l’infusion datant de la veille. Je fais mine de m’écrouler pour en avoir déjà bu et annonce que si je devais mourir ici, ils en seraient responsables et devraient s’attendre à la venue de certaines personnes.

« Let me try to kill you then ! »

Chau, pieds nus, à proximité de Bai Yue Tribe.

Au lit, j’échange avec ma mère sur les conditions ici, consulte un peu la vie de mes amis et de mes frères sur les réseaux sociaux. Ma mère essaie de m’appeler, sans succès faute de Wi-fi efficace. L’inquiétude commence à se stabiliser dans mon esprit. Je suis si éloigné de mes inquiétudes parisiennes qui me poursuivent : ici, il est question de survivre et de conserver suffisamment de sous tout en en ayant assez à mon retour pour être confronté à la vie réelle.

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