Vol V ou la mélancolie des oiseaux migrateurs

Les Rues sont froides

On t’avait pas prévenu ? Tu croyais que les emmerdes frappaient à la porte avant d’entrer ? Tu pensais qu’ils se laissaient chuter jusqu’à perdre cette dignité ? Tu te disais qu’ils devaient l’avoir mérité, avoir merdé, s’être laissé abattre. Maintenant c’est ton tour, tu sais ce que ça fait. T’es là, dehors, il fait froid. Il est encore tôt pourtant. Tu te disais que ça n’arrivait qu’aux autres, et te voilà sur le pavé, un sac sur le dos. Tes fringues, quelques affaires de toilette, une couverture, et ton téléphone. Peut-être la dernière chose qui te relie encore à ton monde d’hier. Au moins avec ça dans la main les gens ne penseront pas que tu en es un de plus. T’attends un message, un appel, une réponse. T’attends que quelqu’un te fasse signe, te tire de là. Tes amis ? Tu vas enfin pouvoir les compter, savoir lesquels tiennent encore à toi. Il fait vraiment froid n’est-ce pas ? En même temps ça fait longtemps que t’es là, marcher ne suffit même plus à te réchauffer, y a qu’à voir la rougeur de tes joues pour comprendre. Un café ou un chocolat ça ferait du bien.

T’as raison de compter tes pièces, tu sais pas jusqu’à quand t’en auras besoin. T’aimerais bien profiter d’un vrai siège quelques instants, mais c’est quand même moins cher au comptoir. T’as peur de croiser des connaissances, de voir le mépris dans leurs yeux. T’espères que ça se voit pas encore. Crois-moi c’est pas cet air de désespéré qui va t’aider. Ton téléphone vibre. « Non ce soir c’est pas possible. ». Tu vas en recevoir des réponses comme ça. Aussi, t’aurais pu être plus clair. Pourquoi t’as pas osé le dire ? Pourquoi t’as demandé ça comme d’habitude, comme s’il n’y avait rien de grave ? Pourquoi t’as honte ? La peur de finir comme eux te tiraille l’estomac. Peur de plus avoir de quoi acheter un morceau de pain. Peur de provoquer le dégoût. Peur de devoir attendre la compassion pour survivre. Peur de devoir errer pour faire passer le temps. Peur de perdre ton identité.

© Arthur Labarre Pôle Communication

C’est ta première nuit dehors et tu te décomposes déjà ? Un peu de courage. Tu penses que la première est la plus dure. Il fera toujours aussi froid pourtant, au moins pour quelques mois encore. Le béton te semblera toujours aussi dur : il l’est. Les gens seront toujours aussi indifférents à ton cas comme tu l’étais auparavant. T’avais autre chose à faire. Autre chose à penser. Maintenant c’est différent, finis les projets d’avenir. Ton nouveau rêve c’est d’être au chaud, de pouvoir manger, boire un peu d’eau aussi. Fallait la finir moins vite ta bouteille.

Tu te demandes encore comment ça a pu t’arriver à toi. Pourquoi toi ? Y a pas de motifs. Certains meurent d’un arrêt cardiaque ou d’un accident de voiture. Toi tu chutes dans la misère. Ose le penser. Ose le dire. T’as rejoint les sans domicile. Pour combien de temps ? Tu crois qu’ils avaient la réponse les autres ? Va falloir être fort. Résister. Accepter de devenir rien. D’être ignoré. De souffrir en silence. C’est ton premier soir dehors, et il fait froid.

Source : https://www.dailymotion.com/video/x5m9bf7

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