Le Grand Palais ouvre son exposition Artistes & Robots jusqu’au 9 juillet 2018, présentée comme la plus importante de l’année. Laurence Bertrand Dorléac et Jérôme Neutres balisent le cheminement entre art et intelligence artificielle au travers d’une trentaine de performances, d’œuvres d’art et d’extraits cinématographiques. Le musée crée sensation à partir de l’idée que les robots peuvent prendre le pas sur les artistes…

La convocation de la modernité

La Cité des Sciences et de l’Industrie avait sauté le pas en 2014 avec une exposition monumentale consacrée à l’art robotique. Quatre ans plus tard, la Réunion des Musées Nationaux interroge le devenir de l’œuvre artistique et du processus de création à l’orée du transhumanisme. L’intelligence artificielle des ordinateurs de l’ère digitale a un impact sur le fonctionnement global de notre société depuis plusieurs années désormais, si bien que l’art s’empare du sujet pour tenter de trouver des réponses philosophiques à sa place dans notre monde. Nous craignons depuis des lustres que la technique ne nous gouverne et ne fasse de nous des esclaves assujettis à la machine. Fritz Lang soulevait les masses prolétaires dans Metropolis à l’encontre du patronat possédant les biens de production et la capacité de fabriquer des automates ; Isaac Asimov imaginait une guerre entre les humains et les robots dans IRobot, adapté au cinéma avec Will Smith.

L’affiche du film Metropolis

Il y a de cela des décennies, Jean Tinguely s’aidait des premiers robots mécaniques en ferraille pour créer des œuvres dont le résultat n’avait de valeur qu’au regard du processus de création. Les mots de Nicolas Schöffer sont inscrits sur le mur : « Désormais, l’artiste ne crée plus une œuvre, il crée la création ». Les deux artistes sont exposés à l’ouverture de l’exposition en guise d’introduction au rôle croissant des robots dans la création. Les années 1950 consacrent l’aube de l’art contemporain dans lequel le concept incarne la métonymie de l’œuvre : le simple fait de créer est accompagné d’une exigence de la manière de le faire.

« Désormais, l’artiste ne crée plus une œuvre, il crée la création » Nicolas Schöffer

La Fontaine Stravinsky au Centre Pompidou, de jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle

Dans la salle suivante, quatre installations performatives d’une œuvre en train de se faire agissent seules, animées par des câbles et des moteurs. Ce sont de petits bolides équipés de crayon qui s’orientent sur un plateau à l’aide de capteurs de distance, c’est une machine activée par un levier qui balaie un mur de traces de peinture, c’est un pupitre animé par un bras mécanique qui reproduit sur une feuille de papier le modèle en trois dimensions que lui transmet un ordinateur depuis une micro-caméra mobile. Il s’agit ici de l’espace le plus emblématique de l’exposition et le plus réussi, montrant de réelles prouesses techniques et des œuvres innovantes qui font sensation auprès des visiteurs.

« On leur prêterait volontiers une réactivité, une dimension animale ou humaine, voire une psychologie » Les commissaires de l’exposition

L’œuvre d’art prend une autre dimension et étend sa définition dans un sens beaucoup plus large. Auparavant le pinceau n’était pas considéré comme faisant partie de l’œuvre, il était l’outil du peintre qui lui permettait de fixer sur une toile des jeux de couleurs. Qu’en est-il lorsque le produit final est performé par des machines auxquelles l’artiste délègue l’autonomie et le pouvoir de la création ? En devenant plus qu’un pantin articulé tout en restant un automate bien pensé, le robot est essentiel à l’œuvre parce qu’il lui donne tout son sens : le résultat n’aurait pas la même valeur sans leur présence.

L’installation de Kanno & Yamaguchi

L’artiste moderne sait faire usage des nouvelles technologies et est apte à programmer un robot avec minutie afin de lui donner un rôle particulier tout en sachant maîtriser les matières et les supports pour un rendu complet. L’artiste refuse de se laisser diminuer par la machine, l’artiste empêche l’intelligence artificielle de le remplacer parce qu’elle est dénuée de conscience : il fait le choix de s’augmenter par son utilisation tel Scarlett Johansonn dans Ghost in the Shell. Ces processus de création évoquent les musiques électroniques et plus particulièrement la MAO (musique assistée par ordinateur) qui a favorisé l’effervescence de l’électro avec l’apport de nouveaux instruments et de nouvelles manières de composer la musique, affranchies du solfège. Kraftwerk en est un ancêtre – bien avant les Daft Punk et leurs tenues légendaires – avec l’album Radioactivity, diffusé dans l’espace librairie. Au terme de la deuxième partie de la visite, l’escalier débouche sur de fins tuyaux métalliques mobiles disposés dans les airs et qui représentent des figures variées en fonction de leurs déplacements et de la position adoptée par le spectateur. Les œuvres prennent vie dans Artistes & Robots, elles agissent.

Une collaboration qui fait les choses à moitié

La troisième partie de l’exposition est moins convaincante. Quelques œuvres font le pari de l’interactivité en étant relié à des phénomènes de réalité virtuelle et peinent à convaincre le public adulte. A d’autres, il manque une traduction, un prisme expliquant ce qui se déroule et prend place. Un écran géant diffuse des métadonnées en continu selon trois modèles différents sans que l’on ressente d’émotions ou que l’on discerne ce qui nous est donné à voir. Un projecteur dans un couloir aux miroirs nous plonge dans la matrice des chiffres à l’infini, et l’exposition se termine sur les principes du « deep learning » (l’apprentissage sophistiqué des robots) avec des installations plus amusantes. Otons de nos esprits l’idée saugrenue que les robots puissent détenir de l’imagination : ils ne sont pour le moment qu’un instrument de jeu dans la conquête de la matière par l’artiste.

« Le meilleur usage que l’on puisse faire de la science-fiction aujourd’hui est d’explorer la réalité contemporaine au lieu d’essayer de prédire l’avenir […]. La Terre est la planète alien d’aujourd’hui. » William Gibson

C’est une nouvelle pierre dans l’art qui s’érige avec un développement des capacités : à nuancer toutefois puisqu’au lieu d’être une révolution artistique, ces processus expérimentaux permettent de prolonger des questionnements et de mettre en lumière certains artifices. Ce sont de nouvelles formes artistiques irriguant des créations pluridisciplinaires et développant des concepts préexistants. L’artiste se sert de son nouvel outil pour le projeter sur l’art de la même manière que le singe lance son os sur le monolithe de 2001 : L’Odyssée de l’espace. Parce qu’elle apporte moins qu’elle ne le promet, l’exposition Artistes & Robots se positionne comme un jalon du déploiement de l’imagination appuyé par l’intelligence artificielle et la robotique. Il nous reste encore beaucoup à découvrir dans ce 21e Siècle, et notamment de savoir comment nous parviendrons à rester créatifs demain quand nous en confions tant à la machine, rouage de la production créatrice.

Au même moment, la Fondation Culturespaces inaugure l’Atelier des Lumières qui accueille une exposition sur Klimt en axant l’expérience du visiteur sur le numérique, de la même manière que pour l’exposition Van Gogh en 2017. L’expérience muséographique du visiteur serait peut-être au seuil de son renouvellement.

Source de l’article : http://master-multimedia.com/artistes-invitent-robots-grand-palais-collaboration-choses-a-moitie/

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